Comment les marques de mode peuvent-elle maîtriser la puissance des réseaux sociaux ? À l’heure où l’e-commerce grignote de plus en plus l’espace des ventes occupé par le retail, les marques de mode ne peuvent plus se permettre d’ignorer la vitrine que sont devenus les réseaux sociaux. Steeve Lambert spécialiste des questions digitales liées au secteur et fondateur de l’agence Digi-tales (à l’origine de la plateforme Pressday), nous a donné quelques indications pour permettre aux marques d’apprivoiser les réseaux sociaux, en amont de son intervention au Who’s Next ce week-end.
“Les marques de mode ont compris que pour faire du chiffre dans l’e-commerce, il faut disposer d’une certaine visibilité’, explique Steeve Lambert. La presse ayant perdu de son éclat dans ce domaine, c’est en toute logique que les réseaux sociaux sont venus s’installer sur ce créneau. D’où la nécessité pour les marques d’aujourd’hui d’apprendre à utiliser ce moyen de communication, avec plus ou moins de succès : “Il y a toujours un temps d’adaptation pour les marques qui sont parfois frileuses face aux nouvelles technologies”, indique le spécialiste qui doit intervenir dans l’équipe des “experts” lors de conférences et de rendez-vous one on one lors du Who’s Next de ce week-end, “et cela leur porte souvent préjudice”.
Pour lui, cette méfiance conduit souvent à une forme d’amateurisme liée à la gestion des réseaux sociaux, et ce aussi bien chez les petites marques, que chez les plus célèbres d’entre elles. “Mes clients et l’industrie en général font souvent face à deux problèmes majeurs”, poursuit Steeve Lambert, “le premier découlant d’une prise de conscience tardive”. Il explique ainsi qu’un certain nombre de personnes n’étant pas des digital natives, se rendent compte tardivement de l’importance des réseaux sociaux minimisant ainsi leur impact sur le chiffre d’affaires. “Le deuxième problème vient d’un manque de discernement face aux compétences nécessaires à mobiliser pour gérer de tels outils”, explique le spécialiste. Les réseaux sociaux sont devenus un métier à part entière qui amène à mobiliser diverses compétences de gestion, de stratégie, de modération et de production de contenus.
Et c’est bien dans cette dernière catégorie que le bas blesse selon Steeve Lambert. “Les parutions dans la presse ont perdu de leur emprise, mais trop souvent, les marques sont frileuses à l’idée d’investir cet argent dans les réseaux sociaux qui sont pourtant devenus de véritables vitrines. Avant on utilisait du contenu que l’on avait produit à d’autres occasions comme des photos de campagnes ou des lookbooks”, poursuit le fondateur de Digi-tales, “or les marques se doivent de créer un contenu inédit qui sera pensé selon le réseau social sur lequel il va être publié, et redoubler d’imagination pour créer quelque chose de stimulant et de ciblé pour leur audience”.
Pour lui, le nerf de la guerre ne se trouve plus dans l’espace dans lequel la marque va s’installer, mais bien de quelle manière elle va l’occuper. Le glissement s’est donc progressivement fait en passant d’une stratégie quantitative à qualitative avec pour nécessité de penser à la manière dont le contenu va être utilisé avant même d’enclencher une opération de production.
Professionnaliser le secteur
Pour Steeve Lambert cependant, pas de recette miracle car chaque marque dispose de sa propre image. “L’objectif majeur aujourd’hui est de professionnaliser pour débloquer certains leviers”, explique-t-il. Établir un budget, suivre un planning précis, adopter une ligne éditoriale, sont autant de conseils prodigués par le spécialiste pour permettre d’établir une véritable stratégie et ainsi solidifier sa présence sur les réseaux sociaux.
“Les réseaux changent très vite”, admet Steeve Lambert, “de nouvelles fonctionnalités apparaissent ainsi que de nouveaux mouvements comme ‘l’écoresponsabilité’ ou le body positivity qui sont mis de plus en plus en avant et qu’il serait fatal d’ignorer”. Quoiqu’il en soit pour Steeve Lambert, le premier critère à respecter reste de professionnaliser ses réseaux sociaux pour en faire un véritable atout.
Quel avenir pour les réseaux sociaux et la mode ?
Quant à la question de savoir dans quelle direction les réseaux sociaux se dirigent, Steeve Lambert reste hésitant. “On parle forcément de l’émergence de nouveaux réseaux sociaux comme TikTok”, indique-t-il sans grande conviction. “Mais pas sûr que les marques, qu’elles soient grandes ou petites s’engouffrent dans cette fenêtre car la cible reste les moins de vingt ans qui ne disposent pas d’un pouvoir d’achat très important”. Même discours pour le phénomène de réalité augmentée qui d’après lui est “parfait pour la cosmétique mais qui devrait mettre beaucoup plus de temps à s’installer dans le prêt-à-porter” et à s’étendre via les réseaux sociaux.
La prochaine évolution à court terme pourrait bien concerner les influenceurs. “Il y a une forme de culte de l’esthétisme qui dérive vers l’excès”, explique Steeve Lambert, “et cela va à l’encontre des valeurs grandissantes d’équité, de bienveillance, et par extension d’écoresponsabilité”. On l’a vu notamment avec la suppression de la fonctionnalité des likes sur Instagram pour des raisons sociales et psychologiques. “Cette mise à jour n’est venue que confirmer le désamour progressif des utilisateurs pour Instagram, qui malgré sa production toujours continue de contenu, génère beaucoup moins d’engagement qu’avant”. Pour lui, même si les gros influenceurs auront toujours de l’impact, les marques vont de plus en plus se tourner vers des profils plus petits mais disposant d’une communauté qui leur correspond, et qui sont eux aussi capables de produire du contenu de qualité.
Le spécialiste estime par ailleurs que les systèmes de messagerie comme Messenger et WhatsApp, qui sont des réseaux sociaux à part entière, risquent de jouer un rôle de plus en plus important. “Les marques ne peuvent pas voir ce qui s’y passe”, explique-t-il, “et cela est d’autant plus frustrant pour elles donc elles sont poussées à créer du contenu de plus en plus original et viral, qui sera à même d’être partagé de manière privée tout en assurant une visibilité et un impact qui seront bien difficiles à mesurer pour les marques”. Reste à savoir qui gagnera cette nouvelle course sur les réseaux sociaux.
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