Instagram, clips, concerts… Sur un marché de la musique saturé, les stylistes sont devenus omniprésents pour affirmer l’image des artistes et installer leurs carrières.
Sur son compte Instagram, il affiche un look différent chaque jour. Streetwear de luxe, vêtements de collection, costumes cintrés lors de cérémonies… Vu de loin, on pourrait croire que DJ Snake a l’une des garde-robes les plus fournies de la place.
En réalité, tout est savamment étudié : pour chaque photographie que publie le DJ superstar français, une tierce personne, rémunérée par sa maison de disques (ou l’artiste lui-même selon les cas), choisit à sa demande et avec son accord chaque vêtement, dans le but de renforcer la cohérence visuelle de son univers musical. Telle est la mission des stylistes dans l’industrie musicale : habiller les artistes, pour donner plus de consistance à leur image et leur musique.
Photos promo, clips, concerts, cérémonies… pour chaque occasion, les stylistes choisissent différentes tenues, empruntées et /ou proposées par des marques, afin de coller le plus possible à l’image de l’artiste en question. Un métier de l’industrie musicale devenu essentiel à l’heure des réseaux sociaux, même s’il reste largement méconnu par le public. Coline Bach, styliste de DJ Snake, décrit ainsi son rôle : «DJ Snake peut me demander de l’habiller pour toutes ses apparitions publiques, que ce soit une interview, un concert, un tapis rouge, n’importe quelle occasion où il va être pris en photo. En fonction de sa demande, on va contacter des marques pour obtenir certaines pièces, qu’il validera ensuite durant des séances d’essayage.» Elle résume : «Aujourd’hui, tout artiste signé sur un label avec un minimum de moyen va faire appel à un styliste. C’est quelque chose qui s’est largement démocratisé dans le monde de la musique parce que la question de l’image et des vêtements est devenue essentielle à notre époque.»
«Il faut se démarquer»
Suivis par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux, encore plus exposés que leurs prédécesseurs, les chanteurs et musiciens actuels font face à un véritable enjeu visuel tout au long de leur carrière. «L’image et le stylisme ont toujours été essentiels dans le développement de la carrière d’un artiste, c’est ce qui permet qu’il soit facilement identifiable par le public, avancent Samantha Gil et Garlone Jadoul, stylistes pour Angèle et Damso. Françoise Hardy était habillée par des grands créateurs dans les années 70, ce n’est pas nouveau. Mais les réseaux sociaux et le numérique ont considérablement accéléré les choses ces dernières années.»
Avec la démocratisation de l’accès aux outils pour réaliser simplement sa propre musique, le nombre d’artistes a décuplé en France et dans le monde, causant une plus grande concurrence dans le milieu. Dorénavant, au-delà même de la seule musique, c’est tout un univers qu’il faut travailler pour attirer l’attention des fans potentiels. «Parmi ces innombrables sorties qui arrivent chaque semaine, il faut pouvoir se démarquer, faire la différence, explique Henri Jamet, directeur de labels chez Believe (PNL, Jul, The Blaze…). C’est la raison pour laquelle on travaille avec des stylistes, notamment pour les jeunes artistes qui ont besoin de s’affirmer. Pour renforcer leur identité visuelle, sans pour autant qu’ils aient l’air déguisé. C’est d’autant plus important à l’ère d’Instagram.» Réseau social le plus plébiscité par les jeunes, Instagram a largement dépassé Facebook dans la stratégie de promotion des musiciens actuels. Une plateforme qui demande aux artistes de publier davantage de photos d’eux qu’auparavant. Et donc un plus grand nombre de looks différents. «Avec Instagram, on peut toucher par l’image des millions de gens dans le monde entier,analysent les stylistes Samantha Gil et Garlone Jadoul. Ça peut aider une carrière. La chanteuse espagnole Rosalia a, par exemple, énormément travaillé ses looks et son image sur ce réseau. Des tas de gens ont commencé à la suivre pour ça, parfois avant même de découvrir sa musique ! Ça montre la puissance d’un stylisme réellement travaillé.»
Une passerelle vers la mode
S’il est bien réalisé, ce métier peut également amener les artistes à décrocher de nouvelles opportunités. En 2018, la rappeuse belge Shay décide de travailler avec le styliste Edem Dossou pour qu’il l’habille sur toute la promotion (clips, photos, interviews, shoots photo) de son second album, Antidote. Déjà bien en vue dans le milieu (il a travaillé avec Christine & The Queens et Eddy de Pretto), ce styliste trentenaire va alors entièrement repenser son image à travers des looks étudiés, et lui donner un coup de projecteur international. «Au moment de lancer la promotion de son nouvel album, Shay avait envie d’avoir une image plus proche de la mode. On a donc décidé de refléter ça dans sa manière de s’habiller», raconte-t-il aujourd’hui. La jeune femme se met alors à porter des marques de créateurs, réalise des shoots mode-musique sous la direction de Dossou, soigne ses looks dans chacun de ses clips… «Riccardo Tisci, directeur de Burberry, est tombé sur un de nos éditos [une session photo, ndlr] où elle portait ses vêtements, et il a directement contacté Shay pour collaborer avec elle. Depuis, elle est devenue égérie de la marque, notamment pour la dernière campagne publicitaire de Noël.»
En travaillant leur style, les artistes peuvent ainsi se rapprocher du milieu lucratif de la mode. C’est le cas de Shay avec Burberry donc, mais aussi d’Angèle avec Chanel ou de DJ Snake avec Puma. «Regardez Rihanna, commente Edem Dossou. Elle n’a plus besoin de faire de musique : elle n’a pas sorti d’album depuis trois ans et travaille sur sa marque Fenti. C’est tout aussi intéressant pour elle financièrement et créativement que de sortir un album.»
Cette logique de communication entre mode et musique, les maisons de disques l’ont comprise depuis longtemps. Au moins depuis que les rappeurs de Run DMC ont chanté My Adidas en 1985. Mais aujourd’hui, un label comme Believe Digital compte dans ses rangs une personne chargée à plein temps des partenariats entre les artistes et les marques. Henri Jamet : «Les marques de mode sont presque des médias maintenant, l’intérêt de travailler avec elles est réel. En devenant égérie d’une campagne, l’artiste va profiter de davantage de visibilité, avoir un affichage dans la rue et sur les réseaux sociaux, et recevoir des financements pour des clips ou des opérations spéciales… C’est l’un des meilleurs moyens de faire découvrir la musique d’un artiste à un public bien plus large en quelque sorte.»
Grandes exigences, petits budgets
Rouages essentiels dans la construction de l’univers visuel d’un artiste, les stylistes font pourtant face à une difficulté de poids : leur métier n’est pas encore réellement considéré dans l’industrie du disque qui, tout en comprenant son intérêt, rechigne à débloquer de véritables budgets. Ils doivent se débrouiller avec des montants parfois trop bas malgré des demandes toujours plus exigeantes. S’il est naturel pour une maison de disques de débloquer des moyens pour réaliser des clips, payer des graphistes réalisant des pochettes ou des attachés de presse, elles sont parfois encore réticentes quand il s’agit de rémunérer un styliste entre 1 000 et 1 500 euros l’intervention sur un clip, même si cela implique parfois plusieurs semaines de travail pour gérer les différentes demandes de prêts de vêtements, les essayages, les changements de tenues le jour du tournage, sans oublier les costumes des figurants.
Pour Edem Dossou, «la musique est peut-être le milieu où il y a le moins d’argent pour les stylistes» : «Les gens qui bossent dans cet univers le font souvent par passion et acceptent peut-être plus facilement qu’on leur dise qu’il n’y a pas trop de moyens.» C’est notamment le cas des plus petits artistes, qui demandent pourtant encore plus de travail pour ancrer leurs univers. Comme ils sont méconnus des marques, il est encore plus compliqué pour les stylistes de leur obtenir des pièces. «Avec les jeunes artistes, il n’y a pratiquement pas de budget alors que c’est là qu’il devrait y avoir presque le plus, regrette Coline Bach. Pour 150 demandes de prêt faites à des marques de mode, on va recevoir seulement dix ou quinze réponses positives. On est donc toujours un peu dans la débrouille.»Enfin, jusqu’à ce que les artistes aient obtenu assez de followers pour que les marques se pressent afin de leur offrir des vêtements…
AGENCE LÉNAM STYLIST
Maîtrise du style